A croire que B. Wilder est un label de qualité ! «
Le gouffre aux chimères » se paie le luxe d’être
un film irréprochablement bien réalisé,
un scénario aussi magnifique que terrifiant et, enfin,
le terrain d’action d’un acteur extraordinaire :
Kirk Douglas.
Tout d’abord il faut voir que l’essentiel du film
se déroule dans et surtout autour d’une colline
; Wilder a le génie de mettre sa caméra au plus
bas pour signifier la désertitude du coin et de l’élever
lorsque la populace se compte par millier, semblant faire de
ce trou une vallée, un Disneyland. Ensuite on remarque
la faible part accordée à la victime, cette exclusion
visuelle significative de l’état d’esprit
du héros. Et là on rejoint le scénario,
ce portrait d’un arriivste arrogant et extrémiste,
amoureux fou du succès, de l’argent et de soi-même,
qui va tout détruire autour de lui : la victime meurt,
le chef de chantier et le shérif sont devenus des complices
de ce « meurtre », le père et la mère
perdent un enfant, la foule repart brisée, la femme est
rejetée, le photographe a surement foutu sa vie en l’air…
et lui-même meurt, et pas seulement d’un coup de
couteau. Douglas transcende le rôle et devient franchement
détestable, magnifiquement haïssable. Ce film est
dur, défaitiste et déprimant, à l’image
de ces quelques incursions dans la prison (la tombe) de la victime,
blessé, immobile, malade, rendu fou par le bruit du forage,
innocent et inconscient que ce qu’on lui fait subir est
volontaire, calculé en fonction du profit ; et qu’il
ne sortira jamais d’ici… Dur comme cette femme qui
ne rêve que de partir de ce trou à rat, se fichant
pas mal du sort de son pauvre mari. Dur comme le jeune journaliste
incrédule et naïf. Dur comme ce flic ripoux ne pensant
qu’aux élections. Dur comme ce chef de chantier
manipulé et complice. Dur comme cette foule de crétins
attirés par le sensationnalisme de la situation et l’héroïsme
facile et involontaire, manipulée elle aussi par des
médias corrompus. Il ne reste que des miettes : les parents,
effacés, confiants. Trop. L’éditeur de province
et ses principes qui ne pourra rien y faire, seulement constater.
Un film touffu (la hausse discrète des prix…) et
très animé. Une œuvre amère, cynique,
méchante pour mieux pointer la bêtise humaine sous
toutes ses formes, une bêtise attisée par le puissant
Dieu $. Après ce choc émotionnel le spectateur
n’a d’autres choix que de prendre une certaine distance
intellectuelle avec ce qu’il lira où regardera
à la télévision ou ailleurs à l’avenir.
Tant mieux : il ressemble à s'y méprendre à
cette foule de crédules…