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Birdman
Budget = 18 M$
BOX OFFICE France = 3 327 / 38 032 - 263 000 - 662 000 entrées
BOX OFFICE USA = 0,424 / 42,3 M$
BOX OFFICE Monde = 103,2 M$
 

Un plan, rien qu'un plan, et voilà que l'on bascule irrémédiablement dans une toute autre dimension ; rien de "fantastique" là-dedans, mais simplement -si je puis dire- un drame d'une beauté exceptionnelle, d'une intensité rare et d'une intelligence palpable. Birdman est avant toute chose une oeuvre d'une densité incroyable, multipliant les thèmes et les sujets de dissertation à loisir, comme si de rien n'était, les métamorphosant en analyses formidablement intelligentes. Puis vient le temps d'un plan séquence -en réalité un faux plan séquence qui durera près de 2 heures avant la rupture- et tout est là, posé : une musique jazzie obsédante, tellement qu'elle en devient sujet d'aparté (mais nous allons y revenir), un super-héros pour de vrai (?????), un acteur schyzophrène sur le retour, des seconds rôles pesants et un humour mordant et débordant d'amour. Mais qu'est-ce donc que ce film ???
Filmé dans un lieu quasiment unique, celui d'un théâtre où une ex-star des grands écrans va essayer de revenir sur le devant de la scène par le biais de ce noble art, Birdman est une tranche de vie à l'épaisseur inimaginable. Nous sommes tout d'abord comme imprégnés de ces décors qui sentent le vieux plâtre et la transpiration, la rage et l'échec, la folie, et donc imprégné par ce film qui est avant toute chose une ode absolue au 6ème art et à ses artistes qui ne vivent de rien, qui vivent de leur simple passion. Une déclaration d'amour que j'ai trouvé absolument sublime bien que n'ayant qu'un goût très modéré pour le théâtre. J'ai vibré pour ces personnages et j'ai ressenti ce qu'ils ressentaient ; bouleversant et immersif comme jamais.
C'est également une oeuvre sur le temps : celui de ce plan-séquence gigantesque qui laisse pourtant la vie avoir de l'emprise sur les personnages, sans coupure, laissant le spectateur dans un état étrange dû à cette dichotomie entre la forme (un seul plan signifiant l'unité temporelle) et le fond (la vie passe, les jours passent, le temps coule). Et laissant les acteurs s'exprimer de la plus belle des façons. Le temps d'une carrière d'acteur, le temps d'une vie, le temps d'une pièce...
Et c'est d'ailleurs un film d'acteurs : un M. Keaton extraordinaire qui tiendra son personnage et le portera de bout en bout, un Ed Norton égal à lui-même (j'adore ce type !) et des seconds rôles franchement surprenants (Galifianakis à contre-emploi, E. Stone comme un poisson dans l'eau, même après Spider-man, N. Watts plus pure que jamais) ; ce brave monde est soutenu par des dialogues ininterrompus et particulièrement savoureux, bien aidés d'un humour "à la mitraillette". Des personnages trempés, profonds, abyssaux même, chacun dotés d'une personnalité qui permet à l'oeuvre de se révéler (exemple : le côté terre-à-terre de Norton est à mettre en exergue avec le côté complètement lunatique de Keaton). Il y a sans aucun doute une analyse croisée et poussée à faire sur chacun de ces caractères. Sans oublier que le personnage du film résonne presque indécemment avec la vie professionnelle de Michael Keaton, ex-Batman étant tombé dans les affres de la série B, des direct-to-dvd, des shorts que personnes ne voient et des navets indignes de son grand talent. Troublant...
Une réflexion sur le métier d'acteur et le revers de la médaille (le divorce, la folie, la vie de sa fille plus ou moins gâchée, la solitude, l'égoïsme, les idéaux malmenés...etc), les difficiles fins de carrières qui ont d'étonnantes résonnances avec la réalité du 7ème art d'hier et d'aujourd'hui (B. Lugosi se prenant réellement pour un vampire après son rôle de Dracula, les retours râtés des Schwarzy, Sly ou JCVD et tant d'autres). Sans oublier les nombreux apartés, petites piqures méchantes sur le cinoche et ses nobles membres, méchantes mais tellement justes...
Birdman est une oeuvre vraiment à part, unique, son format aidant bien sûr, le flot d'émotions qui en découle, les vies humaines qui s'étalent devant nos yeux resteront gravées longtemps après leur vision, mais c'est aussi une oeuvre profonde et réflexive sur le métier d'acteur, du point de vue de l'un d'entre eux et comme on ne l'avait jamais aussi bien retranscrit sur un écran ; mais les regards seront croisés et la réalité se révèlera chaque fois différemment. Car ici réalité et fiction se mélange, leur frontière est de plus en plus floue (Cf. les apartés musicaux vus par le héros, les scénette et autres) jusqu'à ce que l'on découvre, par le truchement d'un autre regard, que tout n'est que schyzophrénie aigüe (la scène où la loge est sacagée est tout simplement bluffante, un basculement, un ébranlement fabuleux). Tout s'imbrique parfaitement : les pensées obsédantes, le passé et le présent, la vie et la pièce de théâtre. Jusqu'au final, un long final, à couper le souffle. A tomber par terre. Comme une métaphore : le birdman, l'oiseau, cet acteur capable de s'envoler très, très haut mais finissant par retomber inexorablement sur terre. Un final tellement poétique.
C'est également une réflexion sur le monde du cinéma, l'envers du décor comme vous ne le verrez plus jamais, comme vous ne le vivrez plus jamais. L'autre facette de la célébrité, vécue de l'intérieur, le côté si peu glamour où se mêle problèmes personnels, problèmes d'égo et plan de carrière délicat (redonner un élan à sa carrière, se valoriser aux yeux des critiques après l'avoir été aux yeux du public) ; sans doute le regard au vitriol le plus juste et le plus perçant que j'ai pu voir jusqu'à présent sur ce monde fébrile. Des stars cachées dans une tour d'ivoire, paresseuses, ultra-riches et prétentieuses, assises sur des succès moins construits sur le talent que sur la valeur du billet vert, un pseudo-talent récompensé intra-muros en fonction de la valeur de leur succès... La futilité d'Hollywood : l'académie des Oscar peut-elle réellement récompenser un scénario aussi cynique ? Mais le film n'est pas plus tendre avec les critiques : M. Keaton, dans une tirade fabuleuse, devait sans doute penser à ces messieurs-dames qui l'avaient descendu -et apparemment blessé dans son orgueil- à la sortie de Batman en lui reprochant d'être "monolithique" dans ce rôle.
On ressort de ce film littéralementébloui, changé, assommé et complètement ravi d'avoir assisté à ce qui ressemble à une véritable expérience cinématographique unique en son genre et poignante. Un petit chef-d'oeuvre.

La critique des internautes
 

 

NOTE : -/20

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