Nous sommes accueilli par un noir et blanc racé, subliment
éclairé : visuellement Casablanca
séduit d'emblée. Il s'agit d'un travail de velour
qui ravit nos yeux et finit par toucher nos coeurs ; et peut-être
même nos âmes tant la magie de ce film reste intacte
près de 80 ans après sa sortie !
Casablanca jouit d'une réalisation absolument
prestigieuse, avec une caméra étonnament mobile
et des inserts de génie qui découpent à
merveille chacune des scènes ; une vision globale d'exception.
Cette manière d'avancer en traveling sur les acteurs,
signifiant l'ouverture d'une séquence, puis, à
l'aide d'un traveling arrière, de conclure de la plus
belle des manières ne peut laisser indifférent.
Ce qui nous souffle tout autant c'est la vitesse prodigieuse
à laquelle progresse le film au gré d'un montage
très cut, pour ne pas dire très moderne, qui insuffle
à l'histoire un rythme presque étourdissant, en
tous les cas pas loin d'être inhabituel pour l'époque.
Il y a dans ce scénario original tout le jeu des tensions
politiques de la guerre, mais vues depuis le lointain Maroc,
dans un film de studios fortement dialogué ; depuis les
magouilles pour fuir loin de la guerre, de l'Europe, jusqu'aux
sacrifices de soi pour une cause plus grande. Le salut de l'humanité.
Un scénario foisonnant et très riche aux séquences
d'anthologie (celle de la Marseillaise est réputée
pour avoir été tournée avec des acteurs
qui ne feignaient point leurs larmes...), oeuvre morale mais
jamais moralisatrice, qui parle d'amour et de haine, beaucoup
de liberté mais également de l'homme en tant que
créature capable du pire mais également du meilleur.
Mieux qu'une love story brisée par la guerre, le film
est une romance complexe et fascinante, celle d'un triangle
amoureux qui se construit au gré des souvenirs, reconstituant
le puzzle d'une vie, d'un amour, d'une intrigue. D'un futur
également.
Beaucoup de personnages vont traverser l'écran, nous
happer, nous étonner, nous séduire, nous donner
envie d'haïr. H. Bogart en homme effondré et sombre,
mais tellement fier, la sublime I. Bergman en femme partagée
entre l'amour et le devoir, Peter Lorre qui promène son
incroyable regard sur les quelques moments où il est
présent à l'écran ; ainsi que C. Rains
et son rôle complètement ambivalent, entre la séduction
envers les nazis pour survivre, les petits avantages immoraux
dont il ne se prive pas (une séquence hallucinante) et
son amour pour son pays, amour qui surgira de la meilleure des
façons.
Oeuvre vivante, film atmosphérique qui vous prend et
qui ne vous quitte pas de sitôt, ce genre de film que
l'on emporte avec soi, depuis les décors du club jusqu'aux
extérieurs d'un Casablanca idéalisé, depuis
les jeux de regards éloquents que se lancent Rick et
Ilsa du début à la toute fin, jusqu'à cette
image finale de l'avion décollant vers un monde meilleur,
en passant par des dialogues succulents et inoubliables. Une
oeuvre puissante et imposante, quasiment impalpable. Tout bonnement
magique.