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ENTRETIEN

Nicolas BOUKHRIEF vient nous parler cinéma & cinéphilie, Christophe Gans, Netflix, Disney, séries TV et tant d'autres choses...

Tu fais partie selon moi d'une "golden generation" de réalisateurs français cinquantenaires (Dupontel - Gans - Richet - Kasso - Kounen - Barbier - Dahan - Megaton - Noé - Siri) : Est-ce que tu te sens des affinités avec cette "famille de cinéma" ?

Je ne sais pas ce que signifie pour toi le terme de "golden generation". Ce que je sais, c'est que tous les réalisateurs de ta liste sont en effet cinquantenaires...

 

Je précise ma pensée : « Golden Generation » en terme de qualité : richesse dans la diversité et le talent ; des auteurs qui m'ont marqué et qui ont marqué leur époque (à l'image des Spielberg-Lucas-Coppola-Scorcese-De Palma)

Merci pour les compliments au nom de tous ceux que tu cites ! La différence, avec les cinéastes américains que tu évoques, d’un strict point de vue historique, c’est que non seulement ils se connaissaient tous, mais c’est qu’ils ont véritablement pris le pouvoir pendant un temps au sein de leur système de production.
En France, tous les cinéastes de cette génération ont connu des aventures finalement assez solitaires, avec plus ou moins de succès au box-office, mais sans jamais marquer l’histoire collectivement, comme a pu le faire par exemple la Nouvelle Vague. Sans doute parce qu’ils n’ont en réalité que très peu de points communs entre eux… Pour ma part, j'en connais certains depuis très longtemps, voire depuis l'enfance dans le cas de Gans, et d'autres pas du tout, je ne les ai même jamais croisés. J'ai eu la chance de travailler avec plusieurs d'entre eux, ou de les voir travailler, ce qui était extrêmement enrichissant, quand les univers d'autres me sont tout à fait étrangers. A vrai dire, ils représentent chacun à mes yeux des planètes cinéma totalement différentes et souvent même très éloignées les unes des autres. Bien sûr, ils ont tous été confrontés aux mêmes films en salles dans leur enfance et leur adolescence, les fameux films débridés des 60's / 70's, l'âge d'or du cinéma européen, puis les cinéastes du Nouvel Hollywood etc... Mais ce que chacun a fait des chocs esthétiques qu'il a reçu alors me parait tout à fait personnel. Rien de commun selon moi entre tous ces films si ce n'est qu'ils racontent tous une passion dévorante de leurs auteurs pour le cinéma. Mais cela devrait être le b.a. ba pour tout metteur en scène, non ?
Après, quand tu évoques le mot "famille", si tu veux parler de communauté d'esprit et d'affinités humaines, c'est vrai que le dialogue sur le cinéma que j'ai commencé avec Gans voici plus de quarante ans se poursuit toujours aujourd'hui avec la même fièvre et le même enthousiasme. Tout comme avec François Cognard, devenu producteur, ou les autres membres de l'équipe de "Starfix", puisque nous nous voyons toujours fréquemment... De même, je suis toujours très heureux d'échanger avec Dupontel, Richet, Kassovitz ou Noé, même si je les vois moins souvent. A ceux-là, je rajouterai Eric Besnard et Pascal Laugier que je vois régulièrement et qui ont tous deux un point de vue puissant sur le cinéma et sur l'époque

 

Je ne savais pas que tu connaissais C. Gans avant Starfix ?

Je le connais depuis l’école primaire, figure-toi ! Il est mon aîné de trois, quatre ans, mais la passion du cinéma nous a très vite rapprochés. Pour les films de Kung Fu tout d’abord, puis les films fantastiques. Nous restions des heures à discuter devant la sortie du cinéma après avoir visionné les Bruce Lee ou les Chang Cheh, ou les premiers films primés au festival d’Avoriaz, Phantom of the Paradise, Soleil vert etc. Je l’ai vu tourner ses premiers films Super 8 dans les forêts du Cap D’Antibes, où il jouait régulièrement le héros et décimait à coup de sabre tous ses copains d’école qui voulaient bien y participer comme figurants. J’en faisais partie à l’occasion, en portant comme les autres des masques de ninjas en tissu fabriqués par sa maman. Il fallait se méfier car Christophe apprenait son métier de cinéaste-cascadeur sur le tas et on pouvait vite se prendre un coup de sabre en bois en pleine poire… C’est d’ailleurs pourquoi le final de son Crying Freeman m’a particulièrement ému. Quand j’ai vu Mark Dacascos éliminer ses nombreux adversaires armés de katanas au cœur d’une forêt, je dois avouer que j’ai ressenti une certaine fierté pour lui. Du Super 8 de ses douze ans à son premier long-métrage, quelle évidente preuve que la passion peut tout.
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On pourrait parler des heures de C. Gans… Il ne possède qu’un seul défaut... qui est aussi sa principale qualité : il ne fait pas assez de films !

Malgré le triomphe du Pacte des loups et les succès à l’international des films qui ont suivi, Christophe a malheureusement développé plus de films qui ne se sont pas faits, comme Fantômas, Rahan, Onimusha ou 20 000 lieues sous les mers, que de films qui se sont faits. Mais tout le monde sait qu’il n’est pas facile de mener tous ses projets à bien, en France, quand on est un peu trop hors normes. Surtout quand il s’agit de gros budgets.



On parle parfois d'un certain passéisme des cinéphiles : "c'était mieux avant". Alors : c'était mieux avant ??

Oui, le fameux et mortifère "'c'était mieux, avant !"... Grand danger pour tous les cinéphiles qui ne se rendent pas comptent qu'ils parlent à ce moment là de leur adolescence ou de leur jeunesse bien plus que de la qualité réelle des films. Le cinéma étant comme de la drogue, il est évident que nos premiers trips sont inoubliables. D'autant plus que dans les premières années de sa cinéphilie, en plus des films contemporains, on découvre également tous les grands chefs d'oeuvre du passé. Le shoot est intense ! Alors si on n'y prend pas garde, on peut rester un peu bloqué sur ces "premières fois"...
Même les cinéphiles les plus éclairés peuvent se montrer rétrogrades à l'occasion, en matière de cinéma. Mais si on garde sa curiosité intacte, non, ce n'était pas mieux avant, même s'il y a des périodes plus riches que d'autres évidemment.

 

Quels auteurs te font rêver actuellement ?

En tous cas ceux dont je suis sûr d'aller voir le prochain film en salle ?
Sans réfléchir, dans le désordre, et pas pour tous leurs films mais tout de même : les frères Coen, Fincher, Sorrentino, Robert Eggers, Lynch, Nolan, Spielberg, David Robert Mitchell, Cameron, Sokourov, David Lowery, Jia Zhangke, Ridley Scott, Gareth Evans, Paul Thomas Anderson, Kathryn Bigelow, Gray, Boyle, Gibson et quelques uns des français évoqués dans la réponse à ta première question... Evidemment, j'en oublie et même, j'en suis sûr, des évidents !

 

Un auteur comme Jarmusch se frotte au film de "zombies" : N'y a-t-il pas un créneau à prendre en France vu que le genre est sclérosé ?

La difficulté pour faire du cinéma fantastique en France, c'est que les sources de financement pour l'instant sont faibles. Les distributeurs n'en veulent pas, les chaînes de télévision en clair non plus et le DVD est en chute libre. Reste le nouvel arrivant Netflix, dont on va bien voir quelle est la politique sur ce créneau dans chaque pays... Pour ce qui concerne Jarmusch, j’en connais que cela irrite de le voir ainsi se frotter au film de zombies. Pour eux, c’est un sommet de gentrification. Mais ils oublient, je trouve, que Jarmusch a déjà fait des films dits « de genre ». Avec l’excellent Ghost Dog notamment. Et surtout le très, très beau Dead Man.

 

J’ai un énorme respect pour Jarmusch qui fait partie de ses rares auteurs qui ont 40 ans d'une carrière sans faute, et loin d'Hollywood ?

Nous sommes d’accord. Tous les cinéphiles des quarante dernières années je pense, ont au moins un film de lui qu’ils chérissent. Je l’espère, en tous cas, car en plus de son énorme talent et de sa singularité, sa droiture et sa sincérité le méritent amplement.

 


Revenons sur la révolution Netflix : Tu vois ce groupe comme un allié ou plutôt comme un ennemi ?

Pour ce qui concerne les séries, un allié, absolument. Pour ce qui concerne le cinéma, il suffirait juste d’une seule chose pour que je considère Netflix comme un allié complet : qu’ils s’engagent à déposer une copie des films qu’ils produisent à la cinémathèque. Et qu’ils puissent le sortir dans quelques salles (mais je sais que notre désuète chronologie des médias pose problème sur ce point). Cette privatisation de la culture peut être dangereuse, sinon. Elle peut faire disparaître la notion de patrimoine. Et la salle de cinéma, c’est la démocratie. On n’imagine pas être obligé de prendre un abonnement payant chez Albin Michel pour lire le prochain Pierre Lemaitre. Et de devoir en avoir un autre chez Gallimard pour relire « l’Etranger »… Avec les changements du mode de distribution qui s’annoncent, je crains que les cinéphiles absolus et déraisonnables que nous sommes soient obligés de s’abonner à Netfix, Amazon, Apple etc. s’ils veulent être sûrs de pouvoir découvrir les prochains Coen, Scorsese, Cuaron, Spielberg etc… Et encore, seulement sur petit, voire tout petit écran !

 

Est-ce le rôle d'un artiste de prendre position et de véhiculer un message à travers ses films ?

On connaît la célèbre phrase de Samuel Fuller : "Quand je veux passer un message, je vais à la poste!"... Ca ne l'a pas empêché, cela dit, de faire White Dog, Shock Corridor ou Naked Kiss... Je ne sais pas si le cinéma est le meilleur véhicule pour faire passer un message. Mais à l'heure où les chaînes d'infos en boucle déversent à longueur de journées des dizaines d'infos pas vraiment triées et des heures et des heures de vains commentaires, au temps des "fake news" et des trolls qui se cachent derrière leur pseudo, les films restent à mes yeux la meilleure manière de proposer une vision synthétique du monde. Et qui peut donc nous aider à le vivre et le penser.

 

Toi qui es journaliste / critique ciné, devenu réalisateur : comment tu vis le rapport entre la critique et le cinéma ?

Le problème aujourd'hui de la critique, c'est qu'elle n'a plus du tout, mais alors plus du tout, l'influence et le pouvoir qu'elle a pu avoir jadis ! La faute à l'arrivée du net qui, en plus d'avoir fait s'effondrer les ventes de journaux, a fait de chacun de ses utilisateurs un critique en puissance. Un changement radical d'époque accru par l'arrivée de commentateurs prétendument omniscients dans les talk-shows grand public, qui se sentent autorisés à donner leur avis sur tout, la politique, les romans noirs comme les essais polémiques, les films de tous genres, le rap, le rock ou la variété française, les artistes de stand-up et ceux de la Comédie française, l'art contemporain ou tout ce qu'on voudra... Ils ont popularisé l’idée que tout le monde pouvait désormais être critique, avec ou sans les compétences nécessaires. Du coup, je ne vois pas qui aujourd'hui pourrait s'imposer par sa plume, aussi pertinente et argumentée soit-elle. Un cri au milieu de la meute... C'est dommage, parce qu'il fut un temps où les critiques pouvaient aider à mieux penser son travail. Mais comme aujourd'hui certains commentaires du net peuvent être finalement plus pertinents que l'avis des journalistes officiels, c'est devenu indéchiffrable.
Du coup, pour ce qui me concerne, je ne lis plus rien de rien sur mon cas depuis au moins une dizaine d'années, je ne me "googlise" pas, ne cherche plus du tout à savoir ce qui se raconte sur mes films. Et c'est très reposant.

 

Justement : qu'est-ce qu'un bon critique de cinéma ?

Selon moi, un bon critique de cinéma sait regarder absolument chaque film sans aucun à priori. Et il sait également le mettre en perspective.
Enfin, et surtout, il sait par dessus tout tenir compte de la notion de "hors-champs". Beaucoup des articles que je lis à l'occasion sur les films qui sortent en salles me paraissent souvent trop littéraux. Ils ne tiennent compte que de ce qu'il y a dans le cadre, de ce que l'on y voit et de ce qu'il s'y passe. Ils témoignent, je trouve, d'une certaine tendance des critiques actuels à plébisciter les films qui leur mâchent le travail en évacuant justement cette notion de "hors-champ". Par un excès de psychologie par exemple, ou à l'inverse par une utilisation outrancière des effets spéciaux... Or, ce qu'il y a de plus beau dans un film, selon moi, c'est précisément ce que l'on ne voit pas. Cette part d'invisible qui rend les chefs d'oeuvre de nos vie toujours un peu mystérieux. Parce que l'émotion qu'ils nous procurent tient au fond de l'indicible... C'est d'ailleurs pourquoi il est toujours plus facile pour un critique (je l'ai été) de "casser" un film qu'il n'a pas aimé que d'encenser un autre qu'il a adoré. Dans le premier cas, il lui suffit de décrire, dans le second d'exprimer, ce qui est infiniment plus difficile. Ce qui est dommage, c'est quand les critiques se mettent également à décrire aussi ce qu'ils aiment...

 

 

La naissance du méga-conglomérat Disney : est-ce inquiétant ?

Le méga-conglomérat Disney est inquiétant depuis des années. Pour la simple et bonne raison que Disney + Pixar + Marvel + Star Wars + Fox = la main mise sur une très, très grande partie de ce qui peut constituer l'imaginaire des enfants aujourd'hui en matière de cinéma. Il se rapproche du coup étonnamment de ce que fut le cinéma dans les pays de l'Est, à l'ère du bloc communiste. Dirigé par une seule et même idéologie. En l'occurrence ici, une idéologie purement commerciale.
Le film qui me parait être le symbole de cet état de fait est le Vice et Versa de Pixar. Je sais que c'est un film très largement adoré, mais je l’ai trouvé personnellement tout à fait odieux. Affreusement matérialiste, anti-poétique au possible, donnant de l'enfance une vision ramenée à ses seuls instincts primaires, rationnelle, tout à fait déprimante. Sans aucune spiritualité ni notion de libre-arbitre. Un fantasme absolu de publicitaires.
De la même manière, je trouve les films Marvel très instructifs. Certains sont des navets, mais d'autres sont parfaitement réussis, et même impressionnants, là n'est pas le problème. Ce qui me trouble dans cette série de films très largement plébiscités, c'est qu'ils sont dénués de toute sensualité. Du coup, quelles que soient leurs qualités graphiques, je les trouve un peu morbides. A commencer par les Avengers. Je n'ai rien contre le fait de centrer tout un film sur la figure du méchant Thanos / Thanatos (très beau personnage au demeurant), mais où est passé Eros ?
Tout cela ne me poserait strictement aucun problème, et je trouverai même cela passionnant, si Disney n'était pas à ce point une major dominante ! J'ai été du coup très heureux de voir que Spielberg s'était occupé de cette question avec son formidable Ready Player One qui est exactement au coeur de cette problématique : qui sont ceux qui pensent et financent les films pour nos enfants ? Et quel est leur degré de sincérité et d’humanisme ?
Comme il faut prendre ces questions très au sérieux, mon épouse Lydia (qui monte tous mes films) et moi-même avons essayé d'y répondre, à notre humble niveau, en publiant récemment un guide pour éduquer les enfants de trois à huit ans à la cinéphilie, histoire d'aider les parents à leur révéler qu'il existe autre chose que la seule esthétique des films Disney.

 

Tu émets l’idée que Disney est en fait asexué d’une certaine manière ? De toute façon c’est très hollywoodien ?

Les films produits par Disney ont quasiment toujours été asexués, c’est vrai que ce n’est pas nouveau. Encore une fois, cela ne me poserait pas de problème, si ce studio n’était pas si hégémonique. Il en faut pour tous les goûts.

 

Et cette manie de faire des reboot live de leurs propres cartoons, d'enchaîner les suites : c’est surtout un frein à la création ? Dans la mesure où il n'y a que cela qui fonctionne (Cf. les échecs de projets plus ambitieux tel que John Carter) ; c’est un cercle vicieux…

Comme tu dis… Et si on doit parler de suite, vivement le prochain Avatar ! Produit par… Disney, depuis le rachat de la Fox. On n’en sort pas. Même si je ne pense pas une seconde, bien heureusement, qu’ils parviendront à faire au cinéma de Cameron le traitement qu’ils ont fait subir à la saga Star Wars, en la vidant de toute sa substance.

 

Yes ! Même si le report constant de la sortie de Avatar 2 est un peu inquiétant…

Une question à la volée : Un bon film ne se fait évidemment pas avec des millions de $€, mais cet espèce de plafond de verre des budgets en France, n’est-ce pas frein pour les auteurs français, et surtout pour leur imagination, leur ambition visuelle ?

Incontestablement. C’est ce que l’on évoquait tout à l’heure pour Christophe et certains de ses projets. Les résultats décevants au box-office de certains gros budgets récents, ambitieux et bourrés de qualités, ne lassent pas de m’inquiéter à ce sujet. C’est comme si chacun d’entre eux refermait une porte derrière lui. La porte d’une pièce où on s’autorisait encore à rêver d’un film à l’ancienne, spectaculaire et populaire… et à une certaine hauteur de budget possible. Un film à 25 millions… Puis à 22 millions… Puis 19 millions… Puis 16 millions… C’est un peu angoissant.

 

Tu me l'a dit : tu n'es pas en promo ; mais je veux en savoir plus sur ce livre co-écrit avec ta femme !

Il est né d’une idée de mon épouse qui se demandait comment passer le relais de tout ce savoir que nous avons accumulé après des années à regarder des centaines de films. Et comme nous avons remarqué, grâce à nos enfants, qu’il était parfaitement possible d’initier les jeunes spectateurs à la cinéphilie, au noir et blanc, aux films muets, à Max Linder, Fritz Lang ou aux classiques de la SF des années 50 dès le plus jeune âge… l’idée nous est venue de faire un guide qui permettent aux parents de raconter l’histoire du cinéma aux enfants à travers une série de classiques plus ou moins, voire pas du tout connus. Comme notre démarche est avant tout pédagogique, notre seule condition était que tous ces films soient trouvables en un seul clic, pour ne pas verser dans un autre travers récurrent du cinéphile. Le fameux et un peu snob : « C’est un chef d’œuvre absolu, dommage qu’il soit désormais invisible ! ». Mais comme je te le disais aussi, en sélectionnant à travers le temps une centaine de films de tous genres et de tous horizons, américains bien sûr, mais tout aussi bien français, anglais, italiens, africains, allemands, japonais, iraniens, chinois, russes… l’idée c’était aussi d’ouvrir les enfants à un autre type d’images et de poésie que le tout numérique auquel ils sont aujourd’hui souvent confrontés (même s’il y a aussi des films de notre ère, bien sûr il faut vivre avec son temps). Parce qu’il n’est pas normal que tous les enfants du monde ne connaissent pas Le Hérisson dans le Brouillard de Youri Norstein !

 

J'adore l'idée : on sous-estime tellement les capacités de nos très jeunes enfants... j'ai l'immense fierté d'avoir construit la cinéphilie de mes 4 enfants ; avec mon petit dernier je vois à quel point il est ouvert et hyper réceptif à des films comme le magnifique L'homme qui rétrécit ou des œuvres muettes. Ça ouvre la porte à plein de causeries avec lui !

C’est drôle, parce qu’en plus de films muets bien sûr, il y a aussi un Bébel dans notre bouquin (mais c’est L’homme de Rio) et le Jack Arnold aussi !

 


Le système de financement du ciné français est sujet à critiques : quelle est ta position sur le sujet ?

Le système de financement du cinéma français est en plein changement. Certaines sources de capitaux sont en train de se réduire, voire même de se tarir. D'autres commencent à naître... Il y aura des victimes dans ces bouleversements. Des boîtes de prod qui vont fermer, sûrement, et des auteurs qui auront du mal à tourner. Mais d'autres naîtront, comme toujours, capables de s'adapter à cette nouvelle donne. Difficile de se prononcer sur l'état actuel de la production française, en fait, vu le nombre d'informations contradictoires que l'on entend. Il n'y a apparemment jamais eu besoin d'autant de films pour alimenter les multiples tuyaux de diffusion et en même temps, on entend dire qu'il y a de moins en moins d'argent. Attendons pour voir....

 

Les Tops annuels français font la part belle aux comédies grand public : Tu as déjà refusé des "grosses comédies" ?

En France, malheureusement, un réalisateur est toujours assimilé à ce qu'il à fait auparavant. On ne m'a donc jamais proposé de scénario de comédie. Et chaque fois que j'en ai écrit une, je n'ai pas trouvé le financement, comme par exemple L'Italien qui n'a pu se faire que lorsque Olivier Baroux a repris le script (notre histoire avec Eric Besnard, il est vrai, était quelque peu différente et davantage caustique.). C'est dommage, parce qu'en tant qu'amateur de Lubitsch, Wilder, Edwards, des Farrelli, de quasi l'intégrale de la Comédie italienne et de grands nombres de comédies françaises des années quarante à aujourd'hui, je m'essaierais bien au genre qui, en dépit des outrages que lui font subir régulièrement tel ou tel, est tout sauf un sous-genre. Ce qui ne veut pas dire que j'y réussirai, mais qui ne tente rien...

 

Tu m'apprends encore un truc : je ne savais pas que tu étais co-scénariste de L'italien ? Du coup le projet a été accepté après réécriture ? Kad Merad y était associé dès le départ ?

Non, pas du tout. J’ai écrit cette histoire, qui me tenait à cœur, après Le Convoyeur. Mais comme je te le disais, les financiers avaient du mal à croire qu’après un film aussi sombre je pouvais me révéler auteur de comédie. Donc, le projet n’a pas réussi à se monter. Quelques années plus tard, le producteur l’a fait lire à Kad Merad qui l’a beaucoup aimé et là, avec son compère Baroux, ils ont réussi à le faire à leur façon. Même si leur manière d’illustrer cette histoire, en dehors du pitch de base, avait très peu à voir avec le script original, j’ai estimé que l’idée de ce film était suffisamment « positive » dans la France d’aujourd’hui pour que je ne fasse pas obstruction à leur envie de la tourner. Et, d’un strict point de vue sociétal, je pense la même chose aujourd’hui

 

 

Je voulais revenir sur Made in France : connaissant particulièrement le sujet j'attendais peut-être quelque chose de différent ; peut-être plus didactique. Cette méconnaissance de l'Islam en France est une vraie plaie et, pour ma part, j'imaginais ce film -bon au demeurant- à la fois comme une "leçon aux ignorants" et un débat entre "croyants musulmans" et "terroristes".
Finalement tu as fait, avec La confession, le débat théologique que j'attendais ! Qu'en penses-tu ?

Je comprends ta déception, mais Made in France n'a jamais été conçu comme un film sur l'Islam, mais précisément comme un film sur un groupe d'exaltés... qui ne comprennent rien à l'Islam! Ils s'en servent simplement comme prétexte pour laisser éclater leur violence et leur désespérance. Une sorte de démonstration par l’absurde, en quelque sorte, pour sortir des confusions qui ont trop souvent court sur ce sujet… Le simple fait que mon héros, le journaliste, soit musulman me paraissait suffisant pour ne pas à avoir à en rajouter sur sa religion. Si je devais tourner un film sur l'Islam, le "vrai", il serait dénué de toute violence justement pour éviter tout amalgame. Tout comme La Confession en effet m'a permis d'aborder le registre de la spiritualité d'une manière intimiste. La seule qui vaille, évidemment avec ce type de sujet.

 

D’accord : du coup je comprends mieux ta démarche : c'est vrai que j'ai vu le film en ayant une attente spécifique, qui n'était peu-être pas "juste" ; à moi de le revoir. A ce sujet : tu veux revenir sur la pseudo-sortie du film en salles ?

La "pseudo-sortie" du film en salles comme tu dis, est tellement liée à la grande Histoire qui s'est déroulée en parallèle que je n'ai pu être que fataliste à ce sujet. Je suis du coup vacciné à vie contre les impondérables que tout réalisateur craint avant la sortie de son film ("Est-ce qu'il va faire beau?", "Est-ce qu'il n'y a pas un match de foot?", "Quels sont mes concurrents? », « Et s’il y avait un tremblement de terre ? »...). Au final, le film a été acheté par à peu près 85 000 personnes en E cinéma, à ce qu'on m'a dit. Ce qui est parait-t-il une sorte de record pour un film français. D'autant que cela fait en réalité un plus grand nombre de spectateurs puisque chaque acheteur ne le regarde pas forcément seul. Et sans compter, tous ceux qui l'ont piraté, puisque des amis habitués de ce genre de sites m'ont dit que de côté là aussi, le film avait très, très bien fonctionné ! Je fais des films pour qu'ils soient vus par le plus grand nombre, et surtout celui-là dont le "message" me paraissait primordial. Vu la parano qui régnait alors, je ne suis pas certain qu'il aurait été vu par autant de spectateurs s'il avait dû sortir dans les cinémas. Et de toute façon, après les évènements, j'aurais été mal à l'aise à l'idée de fêter son éventuel succès au box office. Je n'ai donc strictement aucun regrets vis à vis de cette histoire, bien au contraire.

 

On est encore dans l'ère glorieuse des séries TV : es-tu amateur ? Lesquelles t'on fait vibrer récemment ? La production française est-elle à la hauteur ??

J'aime surtout les séries télé qui sont prises en charge par un seul réalisateur du premier au dernier épisode, comme la saison 1 de True Detective de Cari Fukunaga ou The Knick de Soderbergh. J'y vois une cohérence ou un niveau d'exigence de mise en scène que n'ont pas toujours les autres (je ressens par exemple les disparités entre les épisodes réalisés par Fincher et les autres dans la série Mindhunter, même si elle est dans l'ensemble d'un bon niveau). Au dessus de toutes : les saisons 1 et 2 du Twin Peaks de Lynch et l'extraordinaire saisons 3 qui comptera évidemment parmi les grands chefs d'oeuvre filmiques des années 2010. Il m'arrive sinon très souvent de lâcher des séries en court de route de la saison 1, très vite, une fois qu'elles ont commencé à abattre toutes leurs cartes et deviennent prévisibles ou répétitives (je ne parle pas des éventuels twists ou cliffs lâchés ici ou là, mais du projet global, souvent très basique l'air de rien.). Et comme huit, ou dix ou douze heures d'images, du même "type" d'images pour une seule série, peuvent correspondre à quatre, cinq, huit longs-métrages différents je préfère dans ces cas là continuer à creuser l'univers du cinéma et de ses auteurs qui reste ma passion première. Et mon métier !

 

Tu n’as pas cédé à l’emprise de Game of thrones (dont chaque épisode est supervisé par G.R.R. Martin) ?

Pas eu le temps, pour tout dire. J’ai beaucoup travaillé ces dernières années et comme je continue à dévorer toujours autant de films et de livres, je garde ce genre d’immenses sagas pour mes vieux jours… si elles résistent à l’épreuve du temps.

 

 

Quel est le dernier chef-d'oeuvre que tu aies vu au cinéma ?

Derniers chefs d'oeuvre vus au cinéma ? Sans réfléchir une fois de plus, je dirai Dunkerque et Pentagon Papers pour les gros budgets. The Witch et The Lost city of Z pour les plus petits budgets. Mais là encore, je dois en oublier un évident et plus récent .

 

Je crois que mes lecteurs verront à quel point nos goûts sont franchement similaires : alors tu me surprends avec The witch (film ambitieux mais pas abouti selon moi) ?

Pour tout te dire, lorsque je l’ai vu, j’étais tellement subjugué qu’une confuse sensation de « j’ai déjà vécu ce moment » s’est emparé de moi. Celle d’assister à la naissance d’un auteur visionnaire avec lequel il allait falloir sérieusement compter dans les années à venir, tellement son premier film me paraissait puissant. En creusant dans ma mémoire je me suis souvenu. Et je me suis rappelé de cette séance, un après-midi d’hiver dans la salle d’un multiplexe cannois à la déco très 70’s, où, adolescent, j’ai découvert pour la première fois Les Duellistes de Scott… On verra bien si je me trompe ou pas, mais vivre ce genre de sensations me prouve merveilleusement que non, ce n’était pas mieux avant !

 

Un petit mot à propos de ton prochain film, Trois jours et une vie, avec S. Bonnaire, C. Berling et P. Torreton

Je suis en train d’en finir le mixage et il sort le 18 septembre. C’est mon premier film de commande et j’ai adoré travailler sur un script que je n’avais pas développé moi-même. Pierre Lemaitre m’a fait l’honneur de me choisir pour cette adaptation de son roman, qu’il a écrite lui-même avec Perrine Margaine. En plus des acteurs que tu as cités, il y a également et entre autres acteurs Pablo Pauly et Margot Bancilhon dans le casting. Et le film est produit par la Gaumont, comme Au-revoir là-haut. L’équipe technique est quasiment la même que celle de La Confession et c’est une nouvelle fois Rob qui en a composé le score… Excuse-moi d’être aussi factuel, mais il m’est très difficile de parler d’un film qui n’est pas terminé sans avoir l’impression de me la raconter.... Il y a une chose dont je cependant suis absolument certain - parce que c’est une sensation qui ne m’a pas quitté depuis que j’ai lu le scénario pour la première fois – c’est que c’est une bonne, et même une très bonne histoire ! Alors, merci Pierre Lemaitre.

 

Question subsidiaire : Tu as présenté des dizaines de chefs d'oeuvre dans Mon ciné-club, sur Canal+ ; Mais quel est selon toi le plus grand film de l'histoire du cinéma ?

Je ne peux pas répondre à cette question, car il y a vraiment trop de films qui m'ont fait vibrer et je ne peux pas les comparer. Je peux simplement te dire que quand j'étais ado et que ce type de classification ne me posait aucun problème, Apocalypse Now était mon film préféré. Et chaque fois que je le revois, il me procure la même fascination, même la version "Redux"... Sinon, il y a aussi le sketch de Pasolini dans Rogopag qui est une toute petite chose qui me bouleverse totalement et me semble être une sorte d'expression absolue de la puissance poétique du cinéma. Mais sans que je puisse pour autant le classer au-dessus des autres.

 

Mille mercis à toi, Nicolas, qui tout en mixant a su trouver du temps pour ce long et passionnant entretien : ce fut une semaine d'échanges particulièrement enrichissante..