Une nuit en Enfer : deux frères jumeaux rentrent au pays, après avoir faire fortune à Chicago dans des conditions obscures, voulant ouvrir un bar à blues.
Sinners n'est rien de moins que l'appropriation du mythe du buveur de sang sous un angle socio-culturel : celui de la riche culture des afro-américains, avec comme fil d'Arianne la musique, et plus spécifiquement le blues. Mais sans pour autant en oublier l'Histoire et recentrer le film sur les années 30 américaines. Je pense que la scène du bal devraient rester ancrée dans les mémoires des spectateurs durant très longtemps.
Selon moi il n'y pas souvent photo : un bon film de vampires est une oeuvre qui use de métaphores. Dans le présent cas Coogler aborde le thème complexe de l'acculturation du peuple noir, depuis son statut d'esclave (ils ont par ailleurs dû se fondre dans la masse par le biais de noms de famille totalement aléatoires et imposés par les blancs...) : le vampire énonce clairement qu'il désire, non pas les mordre, mais bel et bien s'approprier leur musique et leurs souvenirs. Comprendre : s'accaparer son âme. Les vampires de Sinners ne sont pas réellement les monstres assoiffés de sang et de tueries que l'on connaît usuellement, basiques : ils souhaitent créer, générer une nouvelle communauté, une nouvelle culture en amalgamant les influences de tout ses membres. Ce qui amène le scénario à évoquer un autre phénomène, celui de l'assimilation -les vampires semblent haïr le "racisme"- d'une culture par une autre, au risque de voir cette dernière se perdre à jamais. La fin n'est que la représentation d'une sauvegarde culturelle essentielle à la mémoire collective : et le film d'ouvrir moults réflexions après sa vision.
Cela n'empêche nullement le film d'utiliser nombre de codes du genre, et notamment ce gore volontiers et sirupeux qui rappelle la texture du sang des vieux films d'horreur. Sinners va même logner du côté du très classique et westernien -autre genre auquel il se réfère très régulièrement- Rio bravo, version "black" et ensanglantée.
Mais au-delà de l'intelligence du traitement il y a aussi la perfection technique et artistique. Son ambiance qui ne ressemble à nulle autre, avec cette première partie étirée où les frangins vont rechercher et trouver leurs associés, tels que le firent les 7 mercenaires, même si dans un tout autre contexte ; le ton retrouvé du premier film de l'auteur, en un long flashback, unique et très personnel, d'une puissante liberté.
Le rythme de Sinners lui est par ailleurs insufflé par le montage et cette musique qui détonne, puissamment originale, rafraîchissante et d'une immense variété : nouvelle perle du décidément génial L. Goransson. Ce diable de montage demeure brillant de bout en bout, portant une réalisation sobre et Ô combien efficiente.
Au final Sinners est un film de vampires qui n'en est pas un, intégrant parfaitement son sujet et le traitant avec une finesse rare.