Ce Pinocchio n'est en réalité
que la vibrante déclaration d'amour d'un père
à son enfant : "My son, you are my shining Sun".
Guillermo Del Toro a pris très justement le parti d'entièrement
réécrire -et même fortement secouer- l'histoire
de Pinocchio, depuis sa trame de base jusqu'en son message,
de se l'approprier pleinement afin de mieux impliquer le spectateur,
le surprendre et ne jamais le laisser en reste. Mais également
pour donner un nouvel éclairage à ce texte, donner
une nouvelle raison d'être à cette histoire immortelle
en secouant le matériau d'origine et ses multiples implications
; un peu à l'image de ce Gepetto imbibé d'alcool
suite à la mort de son fils adoré... Del Toro
se permet de supprimer ainsi des pans entiers du récit
que l'on connaît tous par cœur afin de les remplacer
par des considérations qui résonnent contemporainement
-la montée du fascisme en Italie- et de donner un élan
et une puissance considérable à son film.
Pinocchio redevient toutefois ce conte narrant
l'apprentissage d'un enfant sur le chemin de la vie, cette coquille
vide qui se remplit d'expériences, d'erreurs, de réflexions
et d'apprentissages, faisant ici de l'indiscipline une métaphore
sur l'idéologie fasciste dont le scénariste se
moque effrontément : les enfants-ânes seront cette
fois remplacés par des enfants-soldats et le terrible
Mussolini semble aussi idiot qu'un D. Trump. Ce nouveau métrage
étant traversé d'implications tout autant religieuses,
historiques que, forcément, politiques, avec à
la clé une réflexion aiguisée. Une réflexion
centrée et poussée sur la mort et notre fragilité
d'être humains, arguant d'amour et de deuil, de différence
et de naïveté, de mensonges et d'enfance, ainsi
que de la notion de parentalité, des liens pervers qui
unissent le maître à son "esclave" (au
sens le plus large du terme) qui n'ont nul besoin de chaînes
visibles. Et finalement Pinocchio débouche
sur une message limpide et tout à la fois profond : profitons
de ceux qu'on aime car la vie, ou la mort, peut les éloigner
ou même nous les prendre à chaque instant. Et à
jamais.
Visuellement c'est un enchantement de chaque instant, un bijou
de précions, de détails, un morceau de poésie
émergeant de chaque des images : les séquences
avec le monstre marin sont bluffantes, celles marines en générale
sont étonnantes. A travers une animation d'exception
(la stop motion) ou les noms adjoints de Jim Henson et G. Del
Toro résonnent sublimement, on retrouve l'extrême
minutie dans les décors, chaque décors, le design
pointu et extrêmement personnel du maestro (la Mort est
assurément un personnage de l'univers Del Toro) qui servent
à sublimer la moindre parcelle de film. Malgré
les contraintes techniques l'auteur se permet une réalisation
emphatique et toujours élégante. Cela en fait
une œuvre remplie de chaleur humaine, profondément
touchante, traversée de chansons courtes mais percutantes
ainsi que d'un côté sombre, lugubre et même
d'une certaine violence qui n'a rien à envier aux œuvres
produites par l'immense Tim Burton.
Une œuvre parfois perturbante tant on ne retrouve pas toujours
ses marques, tant elle va loin dans son interprétation,
sa réinterprétation du récit originel,
et qui pourtant s'avère être à ce jour le
plus bel hommage qui ait été rendu à l'oeuvre
de Collodi ainsi qu'à son esprit. L'émotion irrépréhensible
et juste de la fin emportera tous les suffrages...
NOTE : 17-18 / 20