Le film CULTE. Mais commençons par le commencement :
le scénario. Si le titre fait (seulement ?) penser au
livre de Gaston Leroux et ses multiples adaptations, il n’en
reste pas moins que l’œuvre englobe tous les thèmes
majeurs de l’histoire du cinéma fantastique et
de la littérature. Tout d’abord la légende
de Faust ; en rapport avec l’histoire même du compositeur,
incluant celle de Phoenix et de Swan (qui vend réèllement
son âme au Diable) et au thème de sa sonate. Puis
l’histoire du célèbre Portrait de Dorian
Gray couplé à l’histoire de Swan qui, modernisation
oblige, ce doit de regarder une bande magnétique pour
ne pas vieillir ; la destruction de cette même bande entrainera
sa perte. Enfin, et pour en revenir au titre du film, le «
fantôme » hante bien le Paradise, en y semant terreur,
mort et amour. Et quel magnifique histoire d’amour dramatique…
Deux dernières références directes: l’une
à Frankenstein (celui de Whale) lors d’une représentation
et le compte y est : découpage de cadavres, construction,
orage… le tout sous forme burlesque et théatrale.
L’autre à Hitchcock, le maitre spirituel de De
Palma, sous forme parodique et franchement très réussi
: la scène de douche de « Psycho » qui plus
est ! Pour finir signalons aux petits malins un clin d’œil
au film « Le cabinet du Dr Caligari » lors de la
résurrection de Frankenstein et un parallèle évident
que l’on peut faire entre Swan et Dracula : un homme au
charisme monstrueux qui exploite et saigne les artistes, il
vit dans le noir, c’est un suppot de Satan et il a un
assistant. Mais le scénario n’est pas que références
froides, d’abord parce qu’il réussi une symbiose
parfaite entre tous ces thèmes –et ça tient
franchement du miracle, une prouesse à ce jour jamais
inégalée- et ensuite grâce à la force
psychologique qui se dégage de tout les personnages (la
détresse intense de Winslow qui perd l’œuvre
de sa vie et la femme de sa vie – la naïveté
terrifiante de Phoenix – l’excentricité absolu
de Beef – les qualités musicales incroyable du
groupe – la méchanceté sans limite de Swan
pour sauver sa vie…), au mélange prodigieux de
comédie musicale, de comédie tout court, de fantastique,
de terreur, de romance et de délire qui rendent ce film
unique. Chaque chanson pourrait être un hit, la parodie
des Beach Boys est imparable tout comme les morceaux aussi variés
que réussis et qui colle à l’oeuvre, ce
qui constitue un atout suplémentaire à cette œuvre
hors-norme ; merci Mr Williams pour cette œuvre unique
mais inoubliable. Pour les plus accros : avez-vous remarqué
l’erreur qui s’est glissé dans une image
du film (lorsque le « fantôme ressucité »
revient chercher l’assassin en caméra subjective,
on ne voit que ses manches… différentes d’un
plan à l’autre !).
Tout n’a surement pas été dit -une thèse
universitaire s’impose- mais il reste la vision de l’auteur
: le coté comic book de l’arrestation, de l’emprisonnement
et de l’évasion de Winslow, le sens imparable du
spectacle. Passons, donc, à la réalisation : De
Palma n’a jamais, dans toute sa filmo, autant montré
l’incroyable étendue de ses talents, de ses capacités
et de son ingéniosité ; chaque plan est une merveille
pour les yeux. Autant dans la prouesse technique de l’évasion,
l’ampleur du final, le split screen, la multi-angularité
choisi à bon escient pour les apparitions dansantes de
Phoenix, la frénésie du fantôme avant de
sauver celle qu’il aime en donnant sa vie, la mort électrique
de Beef, j’en passe et des meilleurs. Bref, nous avons
là un vrai éventail de technicité et de
capacités de recherche visuel utilisé intelligemment.
Un véritable mixeur qui permet à la sauce image
de se fondre en une délicieuse nourriture pour les sens.
Et pour ce film, de manière certes mais justement démonstrative,
De Palma fait mieux que son maitre-à-penser.
Ajoutons les acteurs, tous chanteurs improvisés, qui
prêtent leurs images à ce film, pour tous la seule
trace dans les anales de leur mince carrière. Des décors
à la hauteur des ambitions affichées, mais nous
en avons parlé : le paradise est une parfaite symbiose
entre l’opéra et la boite de nuit, le studio et
le in-vivo –carton-pâte et marbre, esthétiques
et pastels. On s’y sent bien dedans. La photo, sombre,
est l’ultime pièce du puzzle, elle donne à
notre vision cette aspect « hors des temps » et
décalé.
Une dernière chose tout de même : indescriptible,
invisible et inimaginable, un petit quelque chose envoutant,
une recette magique bien gardée, un « truc »
qui vous prend aux tripes, vous arrache les larmes, vous font
l’effet d’une drogue. Un petit quelque chose sans
nom qui fait de cette œuvre la … plus réussie
de l’histoire du cinéma. Et si c’était
tout simplement du talent.
NOTE : 19-20 / 20