Mettons les choses au clair : cette version de Frankenstien
est une relecture profonde et une réadaptation
du roman d'origine, il différe dans quantité de
détails de l'histoire (la mort de la mère, le
métier du père, la découverte du fils,
le destin d'Henry...etc), parfois jusque dans le caractère
des personnages (Victor et Elisabeth s'engagent très
tôt dans le film), bouleversant parfois le récit
(la 1ère expérience sur l'électricité,
les 1ères expériences sur les animaux) et ajoutant
nombre de précisions afin de créer de nouveaux
liens, en allégeant d'autres (pas de procès contre
Justine ; l'histoire de la famille de l'aveugle ; la partie
anglaise). De même le film gomme les aspects les plus
morbides ainsi que la noirceur d'âme du roman originel,
notamment la profonde dépression et les abominables cauchemars
du héros. Il cède inévitablement à
un besoin impérieux de condenser, besoin forcément
frustrant... d'où certains passages un peu prompts qui
auraient mérité une introduction à l'intrigue
plus douce, un récit qui ne prend pas son temps et dont
on sent trop souvent les coupes nettes et un peu franches. C'est
un film qui allie pourtant la puissance dramatique et la déférence
envers Whale (concernant la
description du laboratoire et la naissance de la créature
; de même que celle de la fiancée), la fidélité
d’un Smight et les qualités
visuelles du réalisateur de Henry V,
qui trouve l'esprit du livre tout en le changeant profondément,
réinventant la trame et bouleversant la chronologie des
faits avec délicatesse et dans un élan de besoin
cinématographique.
Mais le fond de l'histoire est bel et bien présent :
cet apprenti médecin voulant vaincre la maladie et la
mort, prolonger notre existence terrestre, et qui, finalement,
va créer la vie tel un Prométhée moderne,
jouant avec les lois de la Nature. L'histoire d'un mortel confronté
à la mort et luttant contre son inéluctabilité,
se prenant pour Dieu ; croyant plus en la science qu'au Divin.
Et les conséquences de ces actes seront bien pire que
la mort elle-même.
K. Branagh livre une version léchée, assez théâtralisée,
en tous les cas shakespearienne du livre de Shelley. J’y
verrais pour ma part un certain modernisme (les plans en steadycam,
l'alternance de plan cut et d’autres plus longs), souvent
d'une grande intelligence (les personnages de Victor et de sa
fiancée marchant en plan de séparation ; Victor
la demande en mariage : ils sont réunis dans le même
plan) et beaucoup de travail elliptique (le monstre vu un instant
à trvavers une lucarne et la seconde d’après
posant une main sur la bouche de la femme qui le regardait…
un bel exemple de montage signifiant). Sans même évoquer
les séquences symboliques : un laboratoire (ré)
inventé, un aveugle qui lit dans les cœurs et tant
d'autres. Frankenstein est un drame fantastique
qui argue de mort et d'amour, la faucheuse planant comme une
menace sur ce dernier. Le monstre est pathétique, capable
du meilleur comme du pire ; souvent poussé au pire par
la méchanceté inhérente des êtres
humains.
Subtile, évitant les effets faciles et le tout visuel,
le film à cette autre qualité, celle d’innover
un thème rabaché : on est cloué dès
le début par un mystère que l’on connaît
pourtant parfaitement mais que l’on a hâte de découvrir.
On peut même dire que, à l’instar des grands
classiques du cinéma (le devriendra-t-il ?), il échappe
à toutes classifications : c’est un drame à
connotation fantastique emporté d’un souffle épique
et mystérieux où se mêle amour, science,
haine et folie, souffrance, psychologie, solitude, émotions,
religion (beaucoup moins prononcé que dans le roman)
; autant de thèmes traités à travers ce
monument classique aux teintes inoubliables ; le film est à
l’image de cette scène où le créateur
est en lutte avec sa créature venant tout juste de "naître"
: une métaphore O combien géniale.
N'oublions pas les maquillages dont la réussite tient
à la fois à leur réalisme anatomique qu'à
la façon dont ils permettent à De Niro d'exprimer
tout son talent. Et que la composition musicale est toute à
la fois douce et grave, emportée et intimiste.
NOTE : 15-16 / 20