Reconnaissons tout d’abord les qualités de la
musique organique de Shore, la photo sâle et la réalisation
emphatique du maître, dans ce qui est une espèce
hybride de thriller contemplatif. Ensuite, au-delà des
thèmes parallèles (passons les allusions à
la bio-éthique, aux nouveaux organismes et au réchauffement
climatique) il y a un sujet central fort : le monde virtuel
des jeux vidéo et leurs enjeux. Et la description de
cet univers est éloquente. A commencer par ces Gamepods
charnels comme autant de nouveaux membres du corps humain (connecté
grâce à un ombilicâble) : le futur du video
game sera biomécanique, plus organique que jamais. Car,
finalement, il n'y a que les tripes qui ne participaient pas
à nos jeux modernes, jeux ici totalement intégrés,
greffés à l'espèce humaine. Des jeux du
futur où la technologie se fond à la biologie
(gamepod biologique / énergie humaine) ; et comme souvent
chez l'auteur, de façon sexuelle et organique afin de
créer l’osmose nécessaire au virtuel parfait,
à une perte des repères et de la notion de «
réel » totale. Le toucher, la douleur et les émotions
réalistes viennent s'ajouter à tout une gamme
de sensations déjà existantes, pour une interaction
parfaite, une immersion troublante ; troubler le réel
afin de laisser les "vrais" corps à l'abandon,
à même d'être privés de nourriture
ou tout autres choses essentielles (déjà observé
in vivo...) - décrivant ainsi parfaitement le principe
de l'addiction aux jeux. Et demain, selon l'auteur, ces jeux
gouverneront le monde : l'intégration au film de cette
rébelion anti-virtuel, alter-réalistes qui s'élèvent
contre ceux qui nous font perdre pied avec le réel via
l'entertainment de masse relève d'un double enjeu. Celui
évident de la gouvernance de la réalité,
mais également la définition même d'une
oeuvre d'art. Car au-delà de cette étude précise
des mécanismes de gaming (les clés qui permettent
d’accéder au niveau supérieur) il y a bel
et bien un deuxième thème que l’on trouvera
camouflé derrière ce que l’on pourrait croire
être les défauts du film.
Il semble y avoir peu d’émotion dans les dialogues
et les séquences en général ? Premièrement
Cronenberg n’est pas le cinéaste de l’émotion
mais celui de la chair, il n'a pas son pareil pour créer
des images cauchemardesques, écoeurantes et impressionnantes.
On ne ressort jamais indemne de ces oeuvres. De même le
film se calque sur l’atmosphère des jeux, enclin
à la froideur et à la gratuité (meurtres,
implication seulement psychique du joueur). S'il n’y a
rien ici qui ressemble à un jeu contemporain, rien d’accessible,
de commercialisable, de beau, d’excitant, c'est que le
second thème est là ; Cronenberg est tout à
fait conscient de celà, de ces « défauts
» anti-commerciaux, car l'une des questions que pose insidieusement
le film est la suivante : le but de l’art est-il vraiment
d’être aimé ? Non, répond clairement
l’auteur, car l’artiste se doit d'être égoïste
et personnel pour rester authentique, il travaille d’abord
pour lui ; il ne manufacture pas ces idées pour le public,
c’est le public qui vient y puiser ou pas. Un pied-de-nez
à Hollywood qui n’a qu’un seul défaut
: son manque de subtilité dans la mise en forme du scénario,
un final terriblement alambiqué et un video game plus
repoussant que grand public, au déroulement plus étrange
que véritablement jouable, et dont on a du mal à
croire qu'il se vendrait... quoique : l'auteur est persuadé
du contraire !
NOTE : 15-16 / 20