Deuxième film, deuxième chef-d’œuvre
de l’un des plus grands. Difficile de parler de ce film
sans en escamoter toute la magie…et puis vous avez déjà
tout entendu. Tant pis, je me lance : la scéne d’introduction,
inoubliable, inénarrable, met le ton –le film est
signé- nous sommes en présence d’une œuvre
dans le plus beau noir et blanc qui soit, expressionniste comme
le furent des dizaines de film dans les années 30-40,
à commencer par le travail de Kurt Courant pour «
La bête humaine ». Un film rare, unique, étrange,
inestimable et incontestablement beau, dans tous les sens du
terme, par un virtuose, intelligent, de la caméra, lui-même
magnifiquement servi par le montage et, c’est le principal,
le sujet, porté par un scénario exemplaire. Un
film noir, dramatique au point d’en être parfois
insoutenable, vécut de l’intérieur par un
monstre de foire auquel on finira par s'identifier. Parce que
Lynch ne fait pas que montrer de beaux plans, ambigus, saugrenus
et incongrus, il ne sombre jamais dans la gratuité, dans
la facilité ou la fausse subtilité ; il utilise
intelligemment son savoir faire à des fins certes stylistiques
mais mise au service de l’émotion, atteignant une
pureté et une dignité naturelle rare. Son caractère
s’adapte à tous les propos : l’onirisme,
la perversité, l’amour, l’ignominie et le
tendresse. Elégance, exploitation de la photo et des
décors, des ombres et des lumières, des contrastes,
Lynch impose ses visions aux spectateurs, personnalisant la
moindre parcelle d’écran, la moindre profondeur
de champs, les moindres mouvements de sa caméra, et tous
celà au service de son incroyable personnage principal.
Bien aidé par son scénario, toute l’atmosphère
victorienne à l’époque de Jack, et la mise
en valeur de cet être meutri dans sa chair et dans son
âme auquel est adjoint un message fabuleux de respect
et, surtout, de tolérance. Anti-raciste (l’œuvre
complète de Lynch ne l’est-elle pas ?), plein d’amour
mais jamais naïf ou simplet, le scénario fait aimer
ce monstre et détester les humains (pas tous) qui l’entourent
et l’exploitent. Et puis il y a cette scène incroyable
parmi tant d’autres : celle où l’on fait
payer des badauds pour voir l’homme-éléphant,
où des putains vont jouir d’une expérience
unique, où on le saoule et le fait danser sans pudeur
aucune ni peur puisqu’il ne peut rien faire d’autre
qu’assister à ses moqueries… Comment ne pas
serrer les poings devant une telle violence psychologique qui
vaut bien toutes les scénes gores du cinéma. Enfin,
n’importe quel acteur peut s’agenouiller devant
la performance de Hurt… qui en fera d’ailleurs les
frais. Un classique parmi les chef-d’œuvres incontestables.
Un film qui ne nous tire pas les larmes des yeux… ce sont
les yeux qui pleurent tout seuls.
NOTE : 19-20 / 20