Un film de fantôme politique.
"Fantôme = évènement condamné
à se répéter indéfiniment, un instant
de douleur (la guerre), quelque chose de mort qui semble encore
être en vie (liberté), un sentiment suspendu dans
le temps comme une photographie, floue, un insecte pris dans
l'ambre (le passé)."
Guillermo Del Toro évoque tout d'abord les peurs enfantines
avec une force rare : c'est la solitude de ces orphelins, loin
de tout, dans un immense bâtiment dont les décors
sont absolument extraordinaires, coincés au beau milieu
du désert. Mais c'est aussi la peur de l'inconnu (l'enfant
qui découvre les lieux, le noir, les fantômes).
Qui dit sériosité dit effets simples... et qui
dit effets simples -un simple maquillage, une caméra
qui va là où l'on n'aimerait pas aller, un bon
montage, pas trop frénétique- dit grande frousse.
On a l'impression d'être dans une version terrifiante
des "Disparus de St Agil" mâtiné de film
historique (très puissantes, certaines scènes
évoquent directement des tableaux de Goya) et surtout
de drame puisque L'échine du Diable
est également une oeuvre sur la mort et son acceptation
infantile ; d'ailleurs la mort des enfants est montrée
crûment.
Car L'échine du Diable va terriblement
plus loin que son statut de "film de fantôme",
ici intensément atypique, fin et bénéficiant
d'une mise en images prodigieuse, traversé par cette
créature fantomatique moins effrayante qu'impressionnante,
vengeresse mais s'appuyant sur l'aide essentielle de ceux qui
vivent encore.
C'est un film puissant sur la guerre (la guerre civile espagnole)
où le symbolisme de la bombe qui n'a pas explosé
/ tué nous rappelle l'espoir d'un pays qui n'est pas
encore mort, n'a pas entièrement sombré dans le
fascisme. L'orphelinat correspond à la métaphore
de ce même espoir laissé aux mains des enfants
de cette nation ; et le fantôme reste le symbole de tant
de choses -comme je l'ai déjà spécifié
en introduction.
L'échine du diable représente,
en tant que titre, ce que l'on perçoit comme une horreur,
ces apparences par trop évidentes qui nous évitent
de chercher les causes et dont on méconnaît l'origine,
nous incitant à user des a prioris, des superstitions
; ici c'est la misère et non la guerre qui détruira
cette petite communauté vivant en paix ; pas la politique.
C'est de la pauvreté que naît l'instabilité,
la haine et le fascisme. L'échine du diable
c'est la métaphore de la guerre : où comment verser
le sang d'innocents pour de l'or.
Del Toro a réussi un film complet, d'une rare violence,
un film juste, sur l'enfance, loin des clichés, une oeuvre
profonde à décortiquer à loisir et à
s'approprier.
NOTE : 17-18 / 20