La boucle est bouclée. Burton, qui avait débuté
comme animateur chez Disney, réinvestit ce monde et,
surtout, le fait sien : car faute d'avoir les mains totalement
libres sur le scénario, remake oblige, il projette son
univers sur les personnages et leur environnement. Car absolument
tout le cinéma de Tim Burton se retrouve dans ce film,
bien au-delà d'une réalisation pointilleuse. This
is not Disney's !!
Il y a tout d'abord ces êtres qui doivent assumer leur
différence (le monde du cirque en devient alors tout
le symbole), des personnages atypiques mais possédant
des pouvoirs extraordinaires et que l'on retrouve à travers
toute l'oeuvre du maître : que ce pouvoir soit matérialisé
par des mains en forme de ciseaux, de super pouvoirs vraiment
fantastiques, la capacité de parler (La planète
des singes) ou de peindre des chefs-d'oeuvres étranges
et différents (Big eyes), de vaincre
la mort (Dark shadows) ou de créer la
vie (Frankenweenie). Une projection évidente
de l'artiste.
Autre tic de ce génie du 7ème art : les héros
possèdent un manque affectif évident et cruel.
Ici les deux enfants ont perdu leur mère ; et on retrouve
ce manque chez Edward, Bruce Wayne, les enfants particuliers,
Willy Wonka, Sparky (il perd son chien), l'époux des
Noces funêbres. Dans Dumbo les
enfants vont projeter leur trauma sur l'éléphant
et sa mère, moteur de leurs aventures. D'ailleurs Burton
innove intelligemment en adoptant régulièrement
le point de vue de l'animal, quand même sensé se
trouver au centre de l'histoire.
Il y a enfin ces personnages avides de pouvoir, généralement
les bad guys de ses histoires (Walter Keane, Barron, les martiens
de Mars attack !, certains singes dans La
planète des singes et d'une certaine manière
Beetlejuice & Willy Wonka) : et ici la puissance du film
réside dans le fait qu'ils sont matérialisés
par... l'Empire Disney !! Nous allons revenir là-dessus...
On retrouve la patte esthétique de Tim : elle prend forme
au gré d'une photo délavée et absolument
sublimissime, de décors typiquement burtonniens et d'un
certains appétit pour la noirceur en générale
; on y retrouve ainsi son univers de Jack ou Frankenweenie au
détour d'une image, notamment dans le manège "horrifique".
Tout cela est sublimé par une composition qui nous transporte
avec délices et n'est pas sans me rappeller les envolées
lyriques de Edward Scissorhands.
Revenons enfin sur ce qui fait de ce remake une oeuvre à
part entière, un objet assez subversif dont on se demande
au gré du métrage si les grandes pontes de Disney
en ont réellement compris toute la portée : depuis
l'exposition de ces peluches Dumbo -vulgaires produits dérivés
et bassement mercantiles- jusqu'à un empire Disney matérialisé
par un Disneyland plus vrai que nature ; Burton dit clairement
et en substance que ce super-média n'est qu'une machine
à fric sans grande âme ! Subversif, surtout lorsque
l'on sait ce qu'il en adviendra... (Spoiler : un retour à
une petite entreprise familiale qui crache ouvertement sur le
cirque traditionnel et prône la libération des
animaux).
J'ai toutefois relevé deux défauts majeurs sur
le film : étant entièrement centré, dévoué
à ses personnages, il se fait au dépend d'un scénario
carrément linéaire, filant continuellement en
ligne droite, sans pour autant être exempt de bons coups
de suspens et de multiples clins d'oeil respectueux au cartoon
(les souris, le touché des trompes, les éléphants
roses, le subterfuge de la plume). De même je suis étonné
de voir que les FX ne sont pas toujours fluides, surtout lors
des envolées de Dumbo lorsqu'il a quelqu'un sur son dos.
NOTE : 15-16 / 20